RÉSUMÉ La pièce de Martin Crimp – auteur britannique vivant, joué dans toute l’Europe – est une pièce qui a tous les codes du polar.Une nuit Richard , qui exerce le métier de docteur, ramène chez lui dans une maison à la campagne, une jeune fille retrouvée sur le bas côté de la route ,comme il le prétend. Sa femme Corinne va alors lui poser des questions sur cette inconnue. Peu à peu, le doute, la suspicion s’installe au sein du couple. Pendant que les enfants dorment à l’étage, le couple se dispute à propos de cette jeune femme du nom de Rebecca, dont on attend qu’elle se réveille pour livrer quelques éclaircissements.

À PROPOS Pièce aux allures de thriller dans la même veine que celles d’Harold Pinter, inquiétante, drôle et diablement intelligente, La Campagne esquisse un habile jeu de voix qui se questionnent,se répètent , s’interpellent entre elles, à coup de questions dignes d’un interrogatoire de police, de provocation et d’humour grinçant.Avec une maîtrise froide de l’écriture,qui détruit la structure dramaturgique en faisant chevaucher les textes dans le but de créer une excitation chaotique sur le plateau, Martin Crimp s’attache à transposer la mentalité d’une époque, où le texte devient une interzone du vrai et faux-semblants, du dit et du non-dit. L’addition de tous ses éléments confèrent à ce huis clos une atmosphère oppressante, où la notion du secret ne serait ni dans le contenu du récit, ni dans la relation entre les personnages. Elle confronte les spectateurs face à son incapacité à déchiffrer le secret,faisant de La Campagne, une métaphore de l’errance existentielle. Le langage devient le lieu où Richard,Corinne et Rebecca se disent, s’inventent et se rendent réels. L’écriture de Crimp cisaille des personnages où verbaliser, répéter et vociférer , c’est faire exister

NOTE D’INTENTION.Une des choses qui me paraît la plus intéressante au théâtre, est de malmener la langue , la pervertir pour en créer une autre. Avec la Campagne, les personnages font office de voix, et la violence du monde qui s’immisce au sein de la sphère privée, est amenée de façon subtile et non sans humour par Crimp, et confère à la pièce une dimension absurde éprouvante mais terriblement jouissive. L’histoire de cette relation triangulaire est un parfait terrain de jeu, pour y voir jusqu’à quelle limite, la parole et les mots sont une arme d’aliénation, d’emprise, et de contrôle sur le réel. Dans ce théâtre bourgeois en apparence, où la structure du couple est remise en question par un élément extérieur, le plus douloureux pour chaque personnage présent dans la pièce, est qu’ils ne sont pas certains du scénario que l’autre a dans la tête.

Mais l’incertitude dans laquelle l’auteur dispose ces personnages, engendre une distorsion de la réalité, où seuls, les mots qui semblent référencer le réel, se retrouvent eux même réévalués, faisant des personnages de véritables ventriloques dans un monde où on ne s’entend plus. Cette dissonance fait de cette campagne taciturne un lieu d’expérimentation de choix qui donnerait à entendre une nouvelle perspective .Une phrase a particulièrement retenu mon attention, celle où Rebecca dit à Richard.”Parce que je refuse d’y croire, il n’y a pas de limites à ce qui peut être dit. Seulement une limite au degré d’honnêteté que nous sommes disposés à atteindre ”Je crois que c’est ce degré d’honnêteté qui m’intéresse tout particulièrement dans cette pièce. . Je voulais poser un regard sur cette polyphonie de voix déprises qui données en spectacle, permettent de révéler les lapsus, la fissure des apparences. Autant les personnages, les acteurs et les spectateurs eux-mêmes, sont soumis à la question de la limite au langage, avec lequel nous négocions sans cesse pour saisir un peu son immense corps pour reprendre les mots du poète Rimbaud.”

Yohan Carmona

Réservations: https://www.helloasso.com/associations/bruys-de-rue/evenements/la-campagne-1